N°2 - Apprendre à (cesser de) douter
Dans cette deuxième newsletter, je tente de saisir ce moment si particulier qu'est l'achèvement d'un nouveau manuscrit. Joie, doutes, perfectionnement et perfectionnisme... Bonne lecture ♡
[03:02]
Quand je le veux, je peux. Pousser mes limites, orienter chaque atome de mon corps vers l’objectif. Un café amer aux alentours de vingt-deux heures, pyjama en coton consolant, led violacé scintillant le long de la mansarde. Ordinateur et logiciel de traitement de texte.
Écrire en se dépouillant du reste.
Déposer mes sacs, et les oublier.
Me purifier par l’attention toute concentrée sur le détail négligeable d’une ligne, d’une page lumineuse de mon ordinateur. Extinction des feux à trois heures du matin. Jour après jour, jusqu’à poser le point final. M’éreinter.
J’ai enfin terminé mon manuscrit. Après un an et demi d’écriture. Deux ans après les premiers brouillons.
Avec Ennemie, j’avais appris à écrire dans les temps, pourchassée par des dates de remise et d’impression. Je savais, en débutant ce nouveau projet d’écriture, qu’il serait différent : plus exigeant, réclamant le temps nécessaire à une métamorphose. Dans Ennemie, j’avais déposé entre les pages des graines qui demandaient à pouvoir germer à leur rythme, à déployer chaque racine le long d’une surface confortable. J’ai repris ces graines, et j’en ai fait quelque chose. Le poisson rouge adapte sa taille au bocal où on l’enferme, et il lui faut un bassin et des litres d’eau pour déployer le plein potentiel inscrit dans ses gênes. J’avais besoin de temps et de liberté.
Je n’ai terminé que le premier jet, et je dois désormais décider quoi en faire.
Bienvenue dans cette deuxième newsletter. Aujourd’hui, je balaie tous mes brouillons de lettre écrits ces dernières semaines (et que je réemploierai dans les mois à venir) pour plutôt vous faire part de mes sentiments et réflexions alors que je viens de mettre le point final à mon cinquième manuscrit. Je ne l’avais pas prévu, je croyais terminer ce roman à la fin du mois de novembre. Surprise. J’espère que les leçons que j’en tire vous aideront à votre tour.
Je crois que cette lettre sera un peu plus désordonnée, non pas dans sa structure globale, mais au sein même des paragraphes où je tente de mettre le doigt sur tout ce que je ressens à cet instant si bizarre, et délicat, et euphorique qu’est l’achèvement d’un manuscrit.
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Il faudrait pouvoir toujours écrire ainsi, insoucieux du jugement potentiel de l’extérieur, qu’on intériorise par réflexe et qu’on s’impose à soi-même.
[03:03]
On ne peut écrire et corriger un manuscrit sans doute, on ne peut pas le terminer sans s’en dépouiller.
Chaque fois que j’aborde l’épilogue d’un roman, et que je l’écris sans même conscientiser les mots que je pose à l’écran, je m’aperçois du courage que cet acte représente. J’ai dit des choses et je coupe ma parole. J’ai dit ce que j’avais à dire, et j’ai considéré que j’avais des choses à dire. Courage ou peut-être orgueil, tout compte fait. Il faut oser ouvrir ce flux de mots, il faut encore plus prendre le risque de couper ce flux, de lui donner un titre, d’envisager de le communiquer au monde.
J’aime écrire les derniers chapitres d’un roman. Toujours une séquence où je m’oublie, où je dois me départir des doutes qui m’ont envahie et ralentie au cours de l’écriture pour pouvoir rassembler ce courage que requiert le point final. Une séquence où tout prend sens, où je déterre en moi les intentions qui m’ont fait engager ce processus d’écriture dans un premier temps. Je suis émue de découvrir tout ce que mes personnages gardaient celé en eux, ce que je voulais dire et que je n’avais pas osé m’avouer à moi-même jusque-là. Les derniers chapitres sont un moment de vérité. Pure et sincère.
C’est une parenthèse où le doute n’a plus sa place. C’est entre mes personnages et moi. Eux et moi. Ce que je veux dire et seulement ça. Le jugement du monde est nul à cet instant, il n’a pas à imposer son mépris injuste sur la sincérité. Il faudrait pouvoir toujours écrire ainsi, insoucieux du jugement potentiel de l’extérieur, qu’on intériorise par réflexe et qu’on s’impose à soi-même.
J’écris désormais un peu repliée sur moi-même, je rassemble tout ce que j’ai d’orgueil pour me dire « je vais me recentrer et dire ce que j’ai sur le cœur, oser admettre que c’est ce qui importe (moi et mes intentions). Puis, plus tard, je penserai au reste ». Par le passé, parce que j’ai aussi écrit sur Wattpad, biberonnée aux retours immédiats de mes lecteurs, je ressentais un besoin incessant de validation. Je crois que c’est un réflexe sain, au début d’un parcours d’écrivain, parce qu’il y a tant à apprendre, et tant d’humilité à gagner, qu’il faut aussi se confronter aux regards et admettre tout ce que l’on a encore à apprendre.
Quand on accepte enfin que l’écriture est un apprentissage incessant, je crois qu’il est possible de se replier sur soi-même, d’emmerder un peu les attentes du monde pour se dire : « je n’écris pour aucune autre raison que celle d’écrire ». C’est vrai, on peut écrire pour un éditeur, pour un public, pour un rayon en librairie, mais c’est avouer dans le même temps qu’on n’écrit pas tout à fait librement. Il me semble que l’idéal artistique est celui d’une liberté complète au moment du processus de création. Éventuellement, on compromet ensuite cette liberté, ultérieurement, quand il s’agit de communiquer cette œuvre au monde. On est parfois obligé de se traduire pour dialoguer avec ce monde extérieur. Le moins possible, évidemment.
Je crois que dans tout art il y a un certain niveau à partir duquel ce que l’extérieur a à nous redire n’est pas nécessairement bon à prendre. Il faut apprendre à faire le tri. J’en reparlerai assurément dans une autre newsletter, mais il n’y a que nous qui savons ce que nous voulons faire. Personne n’est à l’intérieur de nous. En fait, il faut s’ouvrir à l’extérieur sans se trahir, réussir à dialoguer en cherchant ce qu’il y a en nous d’universel, et je crois justement que la sincérité, cherchée avec patience (et solitude), permet à force d’obstination d’atteindre ce morceau d’universel qui fera écho au reste du monde. Une bonne critique, c’est celle qui nous permet de chercher ce pont entre notre moi sincère et le monde.
L’achèvement du premier jet est le moment où je creuse la sincérité en moi, dans l’espoir d’atteindre ce pont qui me reliera aux autres. Ce que je ressens, dans toute la singularité de ce sentiment, il est probable que quelqu’un d’autre dans le monde le ressente aussi.
L’écriture, parce qu’elle mobilise toute mon énergie, m’empêche d’exceller autant que je le voudrais dans d’autres domaines.
Consentir à s’écouter soi, enfin.
Toucher la sincérité implique un lâcher-prise. C’est ce que j’ai vécu au cours de ces dernières semaines d’écriture, et je ressens beaucoup de joie à cette idée.
Écrire est une passion qui requiert tant d’implication. J’aime ce qu’elle a de totalitaire. L’écriture dévore ma vie. Et pourtant, de façon inexplicable, je me sens toujours fautive d’y accorder du temps. Sans doute parce que l’écriture ne paie ni mes courses ni mon loyer. L’écriture, parce qu’elle mobilise toute mon énergie, m’empêche d’exceller autant que je le voudrais dans d’autres domaines. Les gens ont des attentes pour moi, et moi je choisis d’écrire.
Je choisis d’écrire sans même savoir si cela sera fécond. Pour une fois, je suis déraisonnable.
Parvenir à oublier que c’est déraisonnable, accepter la place démesurée que prend ma passion dans ma vie, me fait du bien. Écrire sans remords, c’est la thérapie que je mérite… Et que mon roman mérite.
Au fond, ces dernières semaines ont été pour moi l’occasion de me faire ce rappel : créer, c’est consentir à s’écouter soi. Enfin.
En jouant avec ses limites, on les repousse. Et ensuite… Quoi ?
Correction, perfectionnement et perfectionnisme
Cette dernière année d’écriture m’a appris à supprimer le brouhaha m’entourant, et à m’écouter moi. À aussi choisir les méthodes qui me convenaient.
Lorsque j’ai posé le dernier point de mon manuscrit, j’ai hésité à le laisser reposer comme j’en ai souvent l’habitude, ou à tout reprendre aussitôt. J’ai écouté mon instinct, et j’ai choisi de débuter la correction dès le lendemain. Le manuscrit avait suffisamment maturé dans mon ordinateur cette dernière année, je ressentais le besoin de le trafiquer le plus vite possible.
J’ai fait le pari de m’explorer plus profondément que jamais dans ce dernier roman, d’oser aller au bout de mes exigences. En jouant avec ses limites, on les repousse. Et ensuite… Quoi ? En relisant ce manuscrit, j’ai pu me dire : « Je n’ai jamais été aussi proche de ce que je cherche, et pourtant je n’y suis pas encore. Il est probable que je n’y sois jamais, et que je ne puisse que m’en rapprocher, avec patience et travail ».
Autrement dit, j’ai ressuscité l’écrivain perfectionniste en moi. Non pas que je l’ai abandonnée au cours de l’écriture du manuscrit, disons seulement qu’il a fallu la faire taire un peu. On ne peut pas explorer, travailler dur, chercher la partie tendre et sincère en soi en se flagellant.
Mais cette petite voix finit par se réveiller. Celle qui m’a fait sourire dans un TikTok dont je dépose les captures ci-dessous : « tu n’es qu’à 40% de ton potentiel ».


Ces retrouvailles avec l’écrivain perfectionniste ne m’ont pas attristée. Je ne chercherai pas à métamorphoser mon manuscrit du tout au tout pour le plier à mes nouvelles exigences. Un manuscrit fini est un manuscrit un peu distinct de soi. Il a des besoins différents de nos propres besoins artistiques. Il faut l’emmener là où il doit être, et le laisser là, puis engager de nouvelles recherches sur un nouveau terrain de création.
Je pense souvent à Karl Lagerfeld qui disait archiver ses créations après chaque défilé, débuter la nouvelle saison à partir d’une feuille blanche. Beaucoup d’artistes avoueront adopter ce processus. Je m’en inspire. Placer le point final, c’est accepter aussi d’archiver le moment venu. Je corrige mon projet, et dans mon ventre je prépare le prochain. C’est comme ça. On ne peut pas tout mettre dans le même roman – et j’en mets déjà beaucoup trop.
Inconsciemment, à force de travail, on s’achemine irrémédiablement vers nos idéaux esthétiques.
S’acheminer vers ses idéaux esthétique
J’ai déjà terminé la relecture complète (et un petit morceau de correction du manuscrit), et j’aperçois, au fil des chapitres, la transition faite entre Ennemie et ce nouveau projet. Le style mute un peu. La recherche est peut-être même palpable, je ne sais pas, mais j’ignore comment l’effacer. Une évidence se dessine dans les phrases à la fin du roman, tandis que le début cherche à concilier action et description du mieux possible.
C’est un peu mon défi esthétique du moment : comment concilier action et dialogues avec des paragraphes descriptifs dans lesquels je me reconnais davantage. Je trouve ma réponse dans certains chapitres de la fin du manuscrit, et j’ignore comment je l’ai trouvée. Pour autant, je voudrais cultiver ça, que mes actions et mes descriptions cessent d’être immiscibles, obtenir la fluidité que je vise.
J’ai conscience que tout ça peut sembler un peu abstrait pour le lecteur d’une newsletter envoyée à 03:03 du matin. J’essaie de transmettre du mieux possible ce que je ressens face à mon travail.
J’ai trouvé ma réponse en écrivant. J’ai expérimenté, et la réponse a fini par surgir d’elle-même. C’est quelque chose qui m’ébahit en écriture : les réponses surgissent par la pratique et par la lecture. Inconsciemment, à force de travail, on s’achemine irrémédiablement vers nos idéaux esthétiques.
J’essaie de composer avec les doutes et les incertitudes, d’être en paix avec ça, de m’enraciner dans ce qui m’anime : écrire.
Avant tout, écrire
Pour faire le bilan de cette lettre et de cette dernière semaine, je dirais que terminer un manuscrit me rappelle toujours à quel point j’aime ma passion. Si on réunissait toutes les raisons du monde pour me la faire abandonner, je ne la délaisserai pas pour autant. Il n’y a aucune raison rationnelle d’écrire quand il faut travailler, vivre, respirer un air non fictionnel. J’aime écrire, c’est comme ça, et c’est aussi ce qui me fait vivre. Si c’était explicable et raisonnable, il ne s’agirait pas d’une passion.
L’écriture de ce roman m’a appris à gérer toutes les voix en moi, à les arranger selon mes besoin : la mienne qui demande à parler plus fort, celle du doute et du perfectionnisme dont j’ai appris à maîtriser le flux, que j’ai rendu ponctuelle.
J’ai ébauché les lignes de nouveaux désirs esthétiques, comme mon précédent roman l’avait fait avant celui-ci. J’accepte que chaque projet est limité, et qu’il faut le porter jusqu’au bout au sein de ces limites.
Je dois avouer que j’ai quelques craintes, maintenant que je suis en possession de ce manuscrit. Parviendrai-je à le faire dialoguer avec l’extérieur ? J’essaie de composer avec les doutes et les incertitudes, d’être en paix avec ça, de m’enraciner dans ce qui m’anime : écrire. Avant tout, écrire.
Avant de terminer cette lettre, je souhaitais vous remercier pour votre lecture et surtout pour votre soutien au cours des semaines passées pour ce nouveau projet !
Je ne m’attendais pas à un tel engouement, à tant de commentaires et de messages. N’hésite pas à nous rejoindre ici, si tu n’es pas encore abonné à 03:03, et à partager cette newsletter si elle t’a touchée ou si tu penses qu’elle fera écho autour de toi ♡
On se retrouve dans un petit mois, à 03:03, pour le prochain numéro.
Sincèrement,
Maxandre Chamarré
J'ai adoré découvrir les enseignements que tu as tirés de l'écriture de ton dernier roman ! J'ai aussi lu cette lettre comme une déclaration d'amour à l'écriture qui t'est vitale et que tu ne conçois pas comme un sacrifice, mais comme une priorité. C'est vraiment un point de vue intéressant qui, j'en suis sûre, déculpabilisera beaucoup d'auteurs. Merci pour tes mots, et encore bravo pour ton nouvel ouvrage 💜 Je suis déjà impatiente de découvrir cette pépite !
J'aime déjà tellement cette newsletter ! Tous ces ressentis que tu décris et la manière dont tu explique ton rapport à l'écriture me donnent envie de me (re)plonger à fond dans ton univers 🤩 en tout cas félicitations pour ce nouveau manuscrit 🥳 je suis trop contente pour toi et j'ai hâte d'en découvrir plus <3